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La mort de Pline l'Ancien sur le rivage de Stabies- Thomas Burke -, Gravure - 1794 |
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Il était alors à Misène et commandait personnellement la flotte. Le 24 août (79), environ la septième heure, il apprend par ma mère qu'apparaît un nuage d'une grandeur et d'une apparence extraordinaires. Il avait pris son bain de soleil, son bain froid ; il avait légèrement déjeuné, puis sur son lit de repos il travaillait. Alors il réclame ses sandales, gagne un lieu élevé d'où il serait en mesure de mieux examiner ce prodige. Une nuée - de si loin on ne pouvait dire de quel mont elle venait, on ne sut qu'ensuite qu'elle sortait du Vésuve - , une nuée donc apparaissait, qui par son aspect et sa forme rappelait un arbre et plus précisément un pin. |
En effet, dressée tel un tronc svelte, elle semblait étendre ses rameaux ; sans doute, c'est ce que je crois, avait-elle été d'abord projetée en l'air dès son origine par la colonne d'air, puis celle-ci étant retombée, sans soutien ou sous son propre poids, elle devenait évanescente, s'élargissant, très blanche ici, ailleurs poussiéreuse et souillée par la terre et la cendre qu'elle avait soulevées.
Tout cela parut à mon oncle grave et digne d'être observé de près, comme il convient à un homme érudit. Il fait préparer un bateau liburnien ; il m'offre de l'accompagner, si je désire aller avec lui ; et moi, de lui répondre que je préfère poursuivre mon travail - il se trouvait justement que lui même m'en avait donner la matière. Il sortait de chez lui ; on lui apporte un billet de Rectina, épouse de Cascus, affolée par l'imminence du danger ; sa villa était en contrebas et elle ne pouvait s'échapper qu'en bateau; elle suppliait qu'on la sauvât d'un péril si pressant. Mon oncle modifie alors son projet et il poursuit par héroïsme ce qu'il avait commencé par curiosité de savant. Il fait mettre en mer des quadrirèmes et y prend place lui-même, désireux de secourir, outre Rectina, un grand nombre de gens que les agréments du rivage avaient attirés en ce lieu. Il se hâte vers le lieu que chacun fuit et met tout droit le cap vers le sinistre ; et il était alors si éloigné de craindre qu'il prenait en note ou dictait lui-même les moindres phases et les moindres aspects de cette dévastation, dans l'instant même où il les discernait.
À ce moment la cendre tombait sur les bateaux, plus épaisse et plus chaude à mesure qu'il approchaient, et il tombait de la pierre ponce et des cailloux noircis, brûlés et pulvérisés par le feu, tandis qu'un bas-fond et des rochers effondrés obstruaient le rivage. Il hésita un instant, incertain s'il reviendrait en arrière ; puis, à son pilote qui lui conseillait ainsi, il dit enfin : « La fortune sourit aux courageux ; vogue vers la demeure de Pomponianus.»
Celui-ci était alors à Stabies, à l'opposé du golfe - car le rivage se repliant sur lui-même forme une insensible courbe dans laquelle pénètre la mer. Là, à la vue du péril, encore éloigné mais visible et de plus en plus proche et menaçant, Pomponianus avait fait charger des paquets sur ses bateaux, bien décidé à s'éloigner si le vent contraire s'apaisait. Mon oncle, à qui ce même vent avait donc été très favorable, l'aborde, embrasse son ami tout tremblant, le réconforte, l'encourage et pour apaiser ses craintes en affichant sa sérénité, il se fait porter au bain ; puis il en sort, prend place à table, soupe avec gaieté ou du moins, et cela n'est pas moins grand, simule la gaieté. [...]
Or, c'était le jour, mais tout alentour une nuit, plus épaisse qu'aucune autre, régnait, pourtant atténuée par un grand nombre de feux et diverses lumières. On décida de se rendre au rivage pour voir sur place s'il était devenu possible d'embarquer. Là, on étendit un linge ; mon oncle s'y coucha. Il réclama à satiété de l'eau fraîche et la but : mais à l'approche des flammes et à l'odeur du souffre qui les annonce, ses compagnons prennent la fuite et non sans l'éveiller. Il veut se lever avec l'aide de deux esclaves : aussitôt il retombe. Selon moi, l'air épaissi par la cendre obstrua sa respiration et son larynx, naturellement délicat, resserré et souvent oppressé. Le jour suivant, le troisième depuis celui qu'il avait vu se lever pour la dernière fois, on trouva son corps intact, parfaitement conservé et couvert des habits qu'il avait revêtus en partant ; il ressemblait, plus qu'à un mort, à un homme endormi.
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