Cours;

Homère déifié, dit « L'apothéose d'Homère »

 
Jean Auguste Dominique INGRES, Homère déifié, dit aussi « L'Apothéose d'Homère »
Références : huile sur toile - 1827 - 386 cm x 512 cm - inv. 5417 - Paris, musée du Louvre

Analyse de Louvre.edu
L'hommage à Homère


L'Apothéose d'Homère est une commande du comte de Forbin. Elle devait orner le plafond d'une des salles du musée créé par Charles X au Louvre. La toile est aujourd'hui présentée au musée du Louvre comme un tableau de chevalet puisque Ingres n'a pas tenu compte du point de vue spécifique exigé par la destination du tableau ; « Le plafond d'Homère est un beau plafond qui plafonne mal », disait Baudelaire.

Devant la façade d'un temple antique, l'allégorie de la Victoire couronne le poète Homère ; devant lui, deux femmes représentent l'une l'Odyssée (avec la rame), l'autre l'Iliade (avec l'épée), oeuvres d'Homère et textes fondamentaux de la littérature européenne, qui illustrent les deux grands types d'inspiration, lyrique et épique. De part et d'autre, les artistes qui rendent hommage à Homère forment le panthéon personnel d'Ingres : Raphaël vêtu de blanc et de noir tient la main du peintre grec Apelle, il est très proche d'Homère ; Poussin, le maître du classicisme français est aussi mis en valeur en bas à gauche, son image vient du portrait du Louvre ; mais on voit aussi Dante et Virgile, Pindare avec la lyre, Sophocle, Phidias avec le maillet, Socrate, Racine.


Une allégorie de l'inspiration artistique

Ingres a réalisé pour cette toile plus de deux cents études préparatoires, cherchant à atteindre pour chaque détail et pour la composition d'ensemble la plus grande pureté formelle. La composition obéit à une construction très rigoureuse : Homère, l'Iliade et l'Odyssée sont mis en valeur par des couleurs vives, ils forment un triangle presque équilatéral à la base de la composition : il indique l'axe de symétrie et est repris en écho dans le fronton du temple qui rime lui-même subtilement avec le rang supérieur des personnages ; la Victoire, seul personnage à n'avoir pas d'équivalent dans la seconde moitié du tableau, permet de rompre la monotonie. Les attitudes sont variées mais l'expression est très retenue, les drapés sont d'un dessin classique ; la lumière est douce et égale.
La frontalité, la symétrie, l'absence d'action indiquent la portée universelle du propos : Ingres montre des personnages ayant vécu à différentes époques, ce n'est donc pas une scène historique mais une allégorie de l'inspiration artistique. Homère est le poète aveugle : l'inspiration ne se trouve pas dans la nature mais bien dans l'esprit de l'artiste, seul capable de créer une harmonie supérieure émanant de règles éternelles. L'harmonie régulière des formes, à laquelle on a parfois reproché une trop grande rigidité, est en fait pleinement en accord avec le sens de la toile.


« En suivant l'exemple des grands maîtres »

La toile d'Ingres est le plus magnifique exemple d'un type de programme très répandu au XIXe siècle dans les musées, les bibliothèques, les académies, mais aussi les lieux du pouvoir politique. Il s'agit de faire de ces bâtiments des « lieux de mémoire » liés à l'idée alors nouvelle de patrimoine, à l'éloge et à la perpétuation des traditions nationales, mais aussi d'évoquer, grâce au langage allégorique, des idées générales d'harmonie, de savoir universel ou de bon gouvernement. Cette double volonté est particulièrement affirmée au musée du Louvre : le Louvre est l'ancien palais des rois de France, mais il se veut aussi un musée universel, rassemblant le savoir de toutes les civilisations humaines et les proposant comme exemple aux artistes modernes.
Un certain nombre de formes et d'images, intimement liées les unes aux autres, sont sans cesse répétées dans l'architecture et dans les programmes peints de ces bâtiments : la représentation des « grands hommes », d'Apollon ou d'Orphée, les motifs de la colonnade antique ou du Panthéon (l'architecture du Panthéon de Rome, avec son plan circulaire, est vue comme une incarnation du sublime ; Raphaël y est enterré, on y trouve des bustes de grands artistes), des citations plus ou moins directes du  Parnasse et de  L'École d'Athènes , les fresques de Raphaël au Vatican, paradigmes de la perfection formelle et du classicisme le plus pur. Ingres s'inspire directement de ces fresques, sur le plan plastique (unité du schéma géométrique, distribution régulière des personnages en petits groupes) et thématique : Le Parnasse montre Apollon et les Muses, donc l'idée d'inspiration divine, et L'École d'Athènes rassemble des philosophes de diverses époques, c'est donc une allégorie de la philosophie. Et quand Delaroche reçoit la commande d'une grande fresque pour l'hémicycle de l'École des Beaux-Arts, il suit très précisément le schéma de composition d'Ingres, et représente lui aussi les plus grands artistes : Apelle, Phidias, Raphaël.

Ingres s'inscrit donc ici dans la chaîne des temps en suivant l'exemple des grands maîtres, mais il se veut aussi un des meilleurs représentants de ce que fut, de la Renaissance au XIXe siècle, le grand rêve du classicisme : l'Harmonie et la Raison comme règles universelles de l'art, selon une conception cette fois non historique du temps.

Texte de Cyril Gerbron - © 2008 - 2012 louvre.edu - Tous droits réservés.
Mentions légales| Carte du Site | © 2008 - 2020 - LB